Inscrire sur le papier le prix du travail après une grève est une pratique ancienne, connue sous le nom d’accord « de tarifs ». L’un des plus célèbres est sans doute celui obtenu par les canuts lyonnais, dont la violation fut à l’origine de la révolte de 1831.
Pour autant, la classification – l’acte de répartir en catégories, de manière systématique et hiérarchisée, les travailleurs ayant des caractères communs – n’intervient véritablement qu’avec la seconde Révolution industrielle. La division des tâches qui en résulte élimine en effet progressivement les métiers au profit de catégories collectives. L’abrogation du délit de coalition en 1864 et la légalisation du syndicalisme en 1884, facilitent également la conclusion d’accords collectifs incluant des clauses salariales, même si ceux-ci restent juridiquement peu contraignants pour le patronat.
Une première inflexion intervient avec les décrets Millerand d’août 1899. Ils imposent, pour les marchés passés avec l’État, les départements et les communes, que les entreprises respectent un salaire se conformant à la rémunération moyenne pratiquée dans la localité, consignée dans les « bordereaux de salaires ».
Le tournant de la Grande Guerre
Durant la Première Guerre mondiale, l’État – devenu principal client de l’industrie – éploie l’application de ces décrets, tout en renforçant leur force normative, en mettant notamment en place des grilles de salaires à partir de 1917. Celles-ci servent de base à la négociation ouverte en 1919 sur l’application de la journée de travail de huit heures dans la métallurgie. Cette classification recense deux types d’ouvriers, les manœuvres et les professionnels, les seconds se subdivisant en 91 catégories réparties en sept branches industrielles.
Ce premier accord national de classification dans la métallurgie tombe rapidement en désuétude, là encore faute de pouvoir contraindre le patronat à le respecter. Malgré tout, il sert de repère aux Fédérations CGT « réformiste » et CGTU « révolutionnaire ». Cette dernière, avec l’appui de militants comme Alfred Costes, Ambroise Croizat ou encore Robert Doury, s’emploie au cours des années trente à réactualiser la grille à partir d’enquêtes menées dans les usines.
Le Front populaire
En 1936, la victoire électorale de la gauche et les puissantes grèves qui l’accompagnent obligent le patronat à accepter des règles collectives et à renoncer à son « droit de discuter en tête-à-tête avec chacun de ses ouvriers », comme le rappelle Léon Blum, lors du procès de Riom en 1942.
Le 12 juin, la convention collective de la métallurgie de la région parisienne est signée. Les métallos CGT n’ont pas voulu bouleverser la hiérarchie salariale, mais retranscrire les pratiques existantes sur le terrain, tout en corrigeant les abus flagrants et en imposant des salaires horaires minima garantis.
S’ils obtiennent que les catégories et les hiérarchies proposées soient inscrites dans l’accord de classifications, en revanche, ils ne parviennent pas à imposer totalement les niveaux de salaires revendiqués. Au final, la classification se présente sous la forme d’une longue liste des métiers auxquels correspond un salaire.
Mais, à partir de fin 1938, la situation se retourne. Les décrets-lois Reynaud-Daladier abolissent la semaine de 40 heures, facilitent les heures supplémentaires et rétablissent le salaire aux pièces. La guerre approche et, avec elle, une intervention croissante de l’État dans la fixation des salaires.
L’entrée en guerre en septembre 1939 se traduit par la suspension des négociations collectives et le gel des salaires. Rapidement, l’inflation érode le pouvoir d’achat, obligeant le régime de Vichy à adopter, à partir du printemps 1941, avec l’accord de l’occupant nazi, quelques mesures ponctuelles, tout en refusant une hausse générale des salaires.
Les grilles Parodi et Croizat (1945-1947)
À la Libération, les salaires restent au cœur des revendications, dans un contexte où les pénuries alimentent une inflation galopante. L’État conserve le monopole de fixation des salaires et opère une remise en ordre des salaires.
Cela prend la forme d’arrêtés et de décisions du ministre du Travail, A. Parodi jusqu’en octobre 1945 puis Ambroise Croizat de novembre 1945 à décembre 1946 et de janvier à mai 1947. Ces textes définissent, après consultation des syndicats et du patronat, le champ d’application (une industrie, une branche professionnelle), une hiérarchie salariale fondée sur le métier pratiqué et le niveau d’apprentissage et déterminent enfin, pour chaque échelon, une fourchette dans laquelle doit s’inscrire le salaire moyen.
Le premier arrêté, du 11 avril 1945, concerne la métallurgie. On remarque d’emblée la filiation avec la grille établie en 1936 pour les métallos de la région parisienne et que l’enjeu est d’élever le niveau des salaires et de relever les maxima. Malgré tout, la logique des abattements, c’est-à-dire la réduction des salaires pour les jeunes, les femmes ou selon la zone géographique, n’est pas remise en cause.
La loi de février 1950 acte le retour à la liberté de négociation des salaires, sans que les nombreuses conventions collectives territoriales n’abandonnent les grilles Parodi et Croizat. Bien au contraire, la FTM-CGT milite pour y intégrer les évolutions techniques et les défendre contre les tentatives de l’UIMM de réduire le rôle des classifications dans la détermination des salaires.
Une nouvelle classification (1972-1975)
Les grèves de mai-juin 1968 obligent l’UIMM à engager des négociations, notamment sur la refonte des classifications. Sur ce sujet, le congrès fédéral de 1971 impulse la revendication d’une grille unique de classification, dans le cadre de sa bataille pour l’obtention d’une convention collective nationale de la métallurgie.
Un accord est finalement signé le 21 juillet 1975, sans la CGT. Cette nouvelle grille rompt avec la logique des « listes de métiers » des grilles Parodi et Croizat, en instituant une nouvelle technique de classification, par « critères classant », après évaluation des postes. Le rôle primordial obtenu par les directions d’entreprise dans la décision de classement est contrebalancé par la reconnaissance des qualifications (les diplômes) de l’individu.
Malgré ce dernier point, la CGT juge l’accord insuffisant : la grille ne sert qu’à déterminer des minimas régionaux, sans référence au SMIC ; absence d’échelle mobile des salaires pour garantir le pouvoir d’achat ; non-reconnaissance des agents de maîtrise ; exclusion des ingénieurs et cadres dont la grille est intégrée à la convention collective nationale de 1972 ; absence de déroulement automatique de carrière.
Depuis, des luttes victorieuses ont imposé des références pour les minimas, la création d’un coefficient 395 ou la reconnaissance de nouveaux diplômes, tandis que le patronat développait l’annualisation et l’individualisation des salaires, tout en essayant d’obtenir la suppression de la prime d’ancienneté en 1990.