1933 | 35 jours de grève chez Citroën

« Citroën ! Citroën ! C’est le nom d’un petit homme, un petit homme avec des chiffres dans la tête, un petit homme avec un sale regard derrière son lorgnon, un petit homme qui ne connaît qu’une seule chanson, toujours la même. Bénéfices nets… Millions… Millions… » Ces quelques vers de Jacques Prévert, déclamés par la troupe de théâtre Octobre, ont inscrit la grève des salariés de Citroën du printemps 1933 dans la mémoire populaire.

Premier constructeur automobile français dès 1919, Citroën cultive une image avant-gardiste, à grand renfort de publicités. Voilà pour la vitrine. Dans l’arrière-boutique, la réalité est moins clinquante. Chantre des méthodes nord-américaines de rationalisation de la production, André Citroën a déployé le système de la chaîne dans ses usines de la région parisienne. Les tâches sont divisées et chronométrées, les machines-outils prolifèrent, l’acheminement des pièces est mécanisé. Résultat, la productivité s’élève, le prix de revient chute, les profits gonflent. Mais pour les ouvriers, ces « progrès » riment avec licenciements, déqualification, intensification du travail. Pire, ce nouvel ordre usinier soumet les ouvriers aux contremaîtres qui, à coup de sanctions et de menaces, veillent au respect des cadences, tandis que leurs salaires sont à la merci de leurs rendements. Un vrai « bagne industriel ».

Pour maintenir ses bénéfices face à la crise économique et financière, Citroën investit lourdement pour rationaliser davantage, tandis que les licenciements et réductions de salaire s’abattent sur les ouvriers. L’annonce, le 28 mars 1933, d’une diminution de 15 à 30 % des salaires met le feu aux poudres. Le lendemain, une délégation d’ouvriers de la réparation des machines-outils en grève se heurte à l’intransigeance patronale. La contestation s’étend et on désigne alors un comité central pour diriger la grève. Celui-ci est composé de délégués élus dans chaque atelier et chaque service parmi les syndiqués et, c’est une nouveauté, parmi les non-syndiqués. Cette démarche originale, démocratique et unitaire est soutenue par Jean-Pierre Timbaud, secrétaire du syndicat unitaire des métaux parisiens, bien qu’elle soit en rupture avec les méthodes d’action habituelles de la CGTU.

C’est le lock-out, Citroën ferme ses usines et licencie les grévistes. Chaque matin, des milliers de grévistes se rassemblent aux portes, pour défendre leurs revendications, parmi lesquelles le rejet des baisses de salaires, la réduction des cadences, l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, la désignation de délégués à l’hygiène et à la sécurité, la semaine de 40 heures et la négociation d’une convention collective. André Citroën, le « Napoléon de l’automobile » comme le surnomme L’Humanité, refuse tout compromis. La mobilisation fléchit au début du mois de mai. La suspension des allocations chômage, la répression policière et l’impuissance à élargir la grève, malgré un meeting commun avec les ouvriers de Renault – une première depuis 1920 – y sont pour quelque chose. Le 5 mai, le comité de grève appelle à la reprise du travail.

Si ces 35 jours de grève ne permettent pas d’obtenir la satisfaction des revendications, ils modèrent les ambitions de Citroën. Les diminutions ne sont que de 5 à 10 % et la détermination des grévistes a plus largement refroidi les prétentions du patronat de la métallurgie. Le fonctionnement démocratique, au travers des délégués au comité de grève, a renforcé la confiance en l’efficacité de l’action collective, ainsi que dans le syndicat CGTU des métaux. Ses effectifs croissent ainsi de 150 à 1 400 adhérents, permettant désormais de structurer son activité par atelier, chaîne et catégories professionnelles. Ces quelques graines semées purent s’épanouir trois ans plus tard, en un certain mois de mai 1936…

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