Le Havre est une ville rebelle, à laquelle les figures de Jules Durand, d’Henri Gautier ou d’Auguste Delaune sont attachées. Le premier, secrétaire du syndicat des charbonniers et meneur de la grève d’août 1910, fut injustement condamné à mort pour complicité d’assassinat, avant d’être innocenté huit ans après. Les suivants animèrent la grande grève – 110 jours ! – des métallurgistes havrais de 1922, avant d’être, pour Henri, administrateur de la FTM-CGT et, pour Auguste, secrétaire général de la Fédération Sportive et Gymnique du Travail (FSGT). Résistants durant la Seconde Guerre mondiale, ils sont morts pour que vivent la paix et la liberté.
Mais Le Havre est aussi célèbre par ces ouvriers et ouvrières de Breguet qui, les premiers, ont osé contester l’arbitraire patronal en mai 1936. Dans cette usine mise en route six années auparavant, où travaillent 850 salariés dont 600 ouvriers et qui comprend des bureaux d’études, des ateliers de tôlerie, de fonderie, d’entoilage et de peinture, Breguet produit des hydravions destinés à l’aviation militaire. Tout débute par le licenciement de deux outilleurs, Friboulet et Vachon. La direction sanctionne ces deux militants sur la quinzaine de grévistes ayant participé au 1er mai, considérant que leur absence valait rupture de leur contrat de travail. Ce jour-là, qui n’était pas encore légalement férié et chômé, des milliers d’ouvriers grévistes avaient assisté à un meeting au cercle Franklin avant de défiler dans les rues de la ville.
Cette mesure, annoncée le 11 mai par l’ingénieur Gazon, chef du personnel et membre notoire des Croix-de-feu, est rejetée par une écrasante majorité de salariés. Décision est prise de cesser le travail, de retenir le directeur dans son bureau et d’occuper l’usine. Par précaution, les grévistes menacent de se réfugier dans un prototype d’hydravion – le Br. 730 – au risque de le détériorer, si les forces policières se décidaient à évacuer violemment l’usine. Soucieux de préserver l’unité et la sérénité du mouvement, Louis Eudier, secrétaire général du syndicat des métaux du Havre, sollicite l’arbitrage du conflit par le député-maire du Havre, Léon Meyer. Ce dernier donne satisfaction aux grévistes et décide la réintégration des deux ouvriers licenciés, le paiement des jours de grève, l’absence de renvoi pour fait de grève et la priorité de réembauche accordée aux salariés en cas de licenciements.
La victoire, en deux jours et sans accrocs, est totale ! De quoi donner des idées… mises en œuvre dans les jours suivants dans l’aéronautique toulousaine avant de gagner l’ensemble de la métallurgie de la région parisienne. La vague de grève déferle à nouveau au Havre à partir du 4 juin, jour de l’investiture du gouvernement de Front populaire. L’ensemble des entreprises de la métallurgie est frappé (Compagnie Électro-Mécanique, Tréfileries, les Forges et Chantiers de la Méditerranée), à l’exception de l’usine Schneider et des chantiers de constructions navales Augustin-Lenormand. Plus d’une centaine de grèves, la plupart avec occupation, ont appuyé les revendications entre mai et juillet 1936 au Havre. Cette combativité s’est traduite par des adhésions. Chez les métallurgistes, les effectifs atteignent ainsi plus de 10 000 adhérents fin 1938.
À l’été 1936, le ministre de l’Air, Pierre Cot, adopte un plan de nationalisation de l’industrie aéronautique, qui prévoit le regroupement d’un certain nombre d’entreprises au sein de six sociétés nationales de constructions aéronautiques (SNCA). Breguet y échappe en partie, et peut, en se rapprochant de Latécoère, poursuivre ses activités. Son usine de Nantes-Bouguenais intègre la SNCA de l’Ouest (SNCAO), tandis que celle du Havre est incorporée dans la SNCA du Nord (SNCAC), avec les usines Potez à Méaulte, Amiot à Caudebec-en-Caux, les Chantiers aéro-maritimes de la Seine à Sartrouville, les Ateliers de construction du Nord de la France aux Mureaux.