Témoignage. La Guerre d’Algérie

Lucien Esquillat a livré son témoignage en mars 2002 dans les Cahiers d’histoire de la métallurgie.

Je suis rentré chez Renault à Boulogne-Billancourt en octobre 1952, tout de suite après mon apprentissage. Je me suis syndiqué à la CGT en janvier 1954. À ce moment là, il y avait encore la guerre d’lndochine qui s’est terminée par l’accord de Genève en juillet 1954.

Durant ce temps, entre octobre 1952 et juillet 1954, nous avions des informations sur le conflit indochinois, surtout au moment de la bataille de Diên Biên Phu. Il y avait celles du pouvoir en place à travers la plupart des journaux, et celles que je recevais sur les tracts syndicaux de la CGT ou politiques par le PCF.

J’essayais de saisir les enjeux, n’ayant pas d’avis bien tranché. Ce conflit s’arrêtant, nous pensions avoir la paix, la France étant en guerre depuis 1939. Il faut remarquer que nous étions dans une culture de guerre, nos grands-pères ayant fait la guerre de 1914-1918, mon père celle de 1939-1945. Enfin la paix, celle-ci ne dura guère puisque le 1er novembre 1954 commencèrent, ce qu’on appela longtemps les « événements » d’Algérie.

Je venais d’avoir vingt ans, et ne pensais guère à ce qu’on appellerait la guerre d’Algérie. Avant de partir au service militaire à Berlin, je verrais seulement quelques actualités au cinéma avec peu de commentaires faisant tilt dans ma tête sur ce conflit.

Je partais en octobre 1955, me retrouvant le lendemain de Pâques 1957 en Algérie.

J’avais heureusement acquis une petite formation syndicale qui me servira à voir plus clair sur le terrain, à comprendre le pourquoi de cette guerre.

La guerre

C’est la plus belle des c… ies inventée par l’homme pour s’occuper d’un territoire et de ses richesses ou de les conserver avec un fructueux commerce des armes de toutes sortes.

L’Algérie c’est la France, nous disait-on. « Mon cul » comme dirait Zazie, ce que je constatais de suite.

Il y avait une différence énorme au plan économique entre les Pieds Noirs et les Musulmans. Allant au cinéma dans la ville de Miliana, j’ai vu un film en langue française. Entre les actualités et le film, il y eut la présentation de quelques images d’un film en langue berbère. J’ai alors entendu des cris injurieux de la part du public, sans aucune retenue. C’était un public relativement jeune, mais pas uniquement des enfants. Je pus constater que le fossé entre les Pieds Noirs et les Musulmans était large, infranchissable dans les têtes et les cœurs.

Il y avait une autre monnaie, même si il existait la parité entre le franc algérien et français.

Les seuls qui étaient ratissés étaient les Musulmans considérés tous comme ennemis potentiels.

J’ai vu côté guerre des copains égorgés au cours d’une nuit d’août 1957, un musulman tabassé à coups de trique à trois mètres de moi. J’ai dû me défendre avec la peur au ventre, même si j’avais I’esprit anti-guerre, anti-colanialiste, etc.

Cette guerre a été une dure épreuve pour mes copains et moi. Je n’en suis pas revenu totalement indemne dans ma tête ayant beaucoup vu, entendu.

Je pourrais dire, comme dans la chanson de Francis Lemarque, « quand un soldat revient de guerre il a eu de la chance et puis voilà ».

Mes permissions en France

Je suis revenu deux fois pour 10 jours en décembre 1956 et juillet 57. J’ai pu constater le résultat de la désinformation, la censure. La majorité avait entendu parler de l’Algérie, mais ignorait ce qui se passait, vivait sur le terrain : c’était le black-out ou presque. À part pour les forces de gauche, pour la CGT, les familles qui avaient un soldat sur le terrain, rien ne transpirait de la torture, des exécutions sommaires. Par contre étaient mis en avant les communiqués de l’armée. On pacifiait, maintenait I’ordre, pour ne pas dire « guerre ». Il a fallu arriver au début de I’année 1960 pour que la France profonde s’éveille, s’inquiète, avant de dire paix en Algérie.

D’un autre côté, on essayait de nous dire « l’Algérie c’est la France », pensant au pétrole découvert alors qu’en France n’existe aucun puits de ce précieux liquide.

Au retour, avec la CGT pour la paix

Plus que jamais, j’ai parlé autour de moi de ce que j’avais vu, vécu, ressenti, même si j’en parle plus facilement à présent. J’ai lu à l’époque le livre d’Henri Alleg sur la torture et bien d’autres lectures montrant le bourbier où était engagée la France. À combien de manifestations pour la paix ai-je participé ? Je ne comprenais pas De Gaulle qui recherchait la paix, alors qu’il faisait matraquer ceux qui auraient du l’aider (voir le massacre des algériens en octobre 1961 et celui de Charonne le 8 février 1962).

Je crois que pour la paix c’est la force du peuple français, et la lutte tenace des algériens qui a mis fin au conflit, plus que les politiciens de la Ve République. Le 19 mars 1962, c’était la fin d’un conflit qui durait depuis 8 années, mais en fait, sans interruption depuis 1939.

En conclusion, je dis oui la CGT a été dans son rôle en luttant contre l’anticolonialisme, pour la paix, l’indépendance des peuples. Je suis fier d’avoir été à côté d’autres dans cette lutte.

En terminant, je rappelle la célèbre phrase d’Archibald Mac Leich figurant dans l’acte constitutif de I’UNESCO, que tous les hommes devraient avoir en tête dès l’enfance :

« Les guerres prennent naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix ».

Être à la CGT c’est suivre cette pensée pour la mettre en application au 21e siècle.

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