1899-1900 | Le Creusot

Dans son œuvre intitulée La Grève – Le Creusot, le peintre Jules Adler saisit sur le vif les événements de 1899. Jeunes et vieux, femmes et hommes défilent, drapeaux tricolores à la main, devant les chevalets des mines Saint-Pierre et Saint-Paul du Creusot. Le contraste est saisissant entre la dignité et la fraternité de cette population ouvrière et la dureté de ses conditions de vie.
Avec 9 000 salariés, les aciéries et forges du Creusot, spécialisées dans les produits mécaniques et militaires, sont la première concentration industrielle française à la fin du 19e siècle. Elles sont dirigées d’une main autoritaire et paternaliste par la famille Schneider, qui règne charitablement sur tous les aspects de la vie de l’ouvrier et de sa famille, du berceau au tombeau. La dépendance ouvrière est telle qu’un licenciement est synonyme de départ forcé de la ville, ce qui explique sans doute l’absence de grèves depuis celles dirigées en 1870 par Adolphe Assi et Jean-Baptiste Dumay, l’éphémère maire de la Commune du Creusot l’année suivante.
Les trois vagues de grèves qui se succèdent au Creusot entre mai 1899 et juillet 1900 sont loin d’être isolées. Le tournant du siècle est agité par des grèves nombreuses et retentissantes, dont plusieurs sont menées à quelques kilomètres de là par les mineurs de Montceau-les-Mines. Mais elles sont remarquables car les salariés revendiquent le droit de se syndiquer, comme la loi de 1884 les y autorise. Une première grève avait éclaté le 16 mai dans les hauts-fourneaux, pour exiger de meilleurs salaires et une baisse des cadences. Le lendemain, les revendications satisfaites, le travail avait repris. Mais le 29, les débrayages qui touchent d’abord les ateliers de construction et la grande forge, puis l’usine entière le jour suivant sont différents. Un Syndicat des ouvriers métallurgistes du Creusot (SOMC) est constitué, fort de 7 000 adhérents ! Jean-Baptiste Charleux en est le président et Jean-Baptiste Adam le secrétaire général. À la tête des usines, Eugène II Schneider, également maire du Creusot et député de Saône-et-Loire, fait mine de céder. Le 2 juin, il promet une hausse de salaires et le non-licenciement des grévistes. Mais il refuse catégoriquement de reconnaître le syndicat. La seconde vague de grèves est déclenchée le 20 septembre en raison du non-respect des promesses. Les manifestations et réunions publiques sont quotidiennes, leurs échos traversent rapidement les frontières. C’est la menace d’une marche des grévistes sur Paris qui incite Waldeck-Rousseau, président du Conseil, à convoquer les parties adverses pour un arbitrage. Le 7 octobre 1899, la sentence impose le respect des augmentations de salaires accordées le 2 juin, l’absence de sanctions pour faits de grève, l’égalité de traitement entre syndiqués et non-syndiqués et l’institution de délégués ouvriers, sur le modèle des délégués existant dans les mines depuis 1890.
La défaite de la dynastie Schneider n’est qu’apparente. Le rôle des délégués ouvriers est détourné et leur autorité affaiblie, tandis qu’un syndicat « jaune », le Syndicat des corporations ouvrières, voit le jour pour concurrencer le SOMC, bénéficiant pour cela des « incitations » patronales à y adhérer. En juillet 1900, alors que le règlement intérieur vient d’être durci, une grève éclate à la forge et s’étend rapidement à l’usine entière. Cette dernière vague tourne en défaveur des grévistes et s’achève sur une terrible défaite : 1 500 ouvriers sont renvoyés, 55 « meneurs » sont condamnés en correctionnel, le SOMC est décapité, l’action syndicale durablement entravée.
Ces grèves n’ont pas eu la force nécessaire pour entamer la mainmise patronale sur les usines et la ville, mais cette lutte n’a pas été vaine. En s’attaquant au paternalisme et à l’autoritarisme, en revendiquant le droit de s’organiser librement pour défendre leurs intérêts, les ouvriers du Creusot ont posé un jalon important dans la construction du syndicalisme dans la métallurgie.

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