1917-1918 | La Loire en grève

En 1918, Frans Masereel, précurseur du roman graphique, fait paraître La passion d’un homme. Dans ce chemin de croix laïque en 25 gravures, où le blanc s’arrache au noir, nous suivons la vie d’un ouvrier, sa contestation de l’injustice et de la guerre, de sa naissance à sa mort. Masereel s’inspira pour cela d’un événement contemporain, la grève générale de décembre 1917 dans la Loire et de la figure d’un métallurgiste, Clovis Andrieu.

Ce dernier, secrétaire du syndicat CGT des ouvriers charpentiers en fer de la Seine avant-guerre, est mobilisé en 1914, avant d’être affecté spécial dans la Loire. Refusant l’Union sacrée, ardent partisan de la paix, il prend la tête du syndicat des métaux de Firminy en mars 1917. Un accord, définissant les postes de travail et les salaires, est obtenu par la lutte en juin de la même année. Mais dans les mois suivants, l’agitation ne cesse pas pour autant dans les usines d’armement. Ainsi, en août, les salaires sont toujours au cœur des préoccupations chez Leflaive à Saint-Étienne, à l’arsenal de Roanne ou aux Aciéries Verdié à Firminy. Ces escarmouches dégénèrent fin novembre, lorsque Clovis Andrieu est sanctionné d’un renvoi au front. Le jour-même, le 27 novembre, la grève est votée en solidarité à Firminy, avant de s’étendre au reste du département où plus de 100 000 personnes travaillent pour la défense nationale, notamment aux Forges et Aciéries de la Marine à Saint-Chamond, aux usines Holtzer à Unieux ou à la Manufacture d’armes de Saint-Étienne. Le gouvernement cède et Clovis Andrieu retrouve Firminy à la mi-décembre.

Cette victoire donne des ailes. Le comité intercorporatif de la Loire, qui groupe les douze syndicats CGT des métaux et du bâtiment opposés à l’Union sacrée, prend contact avec le Comité de défense syndicaliste (CDS), la FTM-CGT et la Fédération CGT du Bâtiment pour préparer une grande initiative contre la guerre. Localement, réunions et actions se multiplient. Semaine après semaine, l’agitation gagne l’ensemble des centres industriels du département, la paix est sur toutes les lèvres. Mais elle n’a pas le même sens pour tous. Parmi la population, la lassitude motive l’espoir d’une conclusion rapide de la guerre. Si les débrayages ponctuels sont soutenus, l’hostilité est manifeste contre les actions visant à empêcher le départ des troupes pour le front, d’autant plus après l’armistice germano-russe conclu à Brest-Litovsk en mars 1918 a permis à l’Allemagne de rapatrier ses troupes vers la France.

L’objectif d’une vaste action contre la guerre n’est pas abandonné pour autant et les minoritaires pressent le comité confédéral national d’organiser un congrès confédéral à ce sujet. Faute de réponse, le CDS se résout à convoquer des assises de la minorité pacifiste les 19-20 mai 1918 à Saint-Étienne. Dans certains centres industriels, l’ambiance est électrique. Le 1er mai, ils sont 20 000 à débrayer à Bourges aux cris de « À bas la guerre, vive la paix ! », suivis quelques jours plus tard par 100 000 métallurgistes de la région parisienne. Dans la Loire, la grève est déclenchée le 18 mai, après le licenciement de onze grévistes du 1er mai aux Aciéries Verdié. La grève totale à Firminy, s’étend au département, mais guère au-delà. Les offensives allemandes du printemps 1918 ne sont pas étrangères à cette situation. De plus, la direction de la FTM-CGT ne soutient pas son élargissement, car elle ne croit plus en la grève générale. Son ralliement à la direction confédérale majoritaire, désormais manifeste, est violemment dénoncé lors des congrès fédéraux et confédéraux de juillet 1918. En attendant, l’isolement a offert au patronat et au gouvernement l’occasion de décapiter le mouvement syndical. Le 25 mai, cinquante militants, dont Clovis Andrieu, sont arrêtés et traduits devant le conseil de guerre. Le lendemain, une manifestation de solidarité est durement réprimée et le 28, le travail reprend partout, non sans réticences. La guerre dura de longs mois encore, mais la flamme pacifiste et révolutionnaire n’était pas éteinte…

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