L’industrie a de l’avenir en France ! Telle est la leçon de la lutte infatigable des salariés de la réparation navale marseillaise. Avec les années soixante, ce secteur d’activité – qui compte alors plus de 10 000 salariés – subit ses premières restructurations importantes, dans un contexte de concurrence internationale accrue. Le dépôt de bilan, en 1978, de la Société Provençale des Ateliers Terrin (SPAT), qui employaient 5 000 salariés, est un choc terrible. Après une succession de reprises et faillites, avec leurs lots de suppressions d’emplois, cet ancien fleuron industriel est racheté en 1994 par la Compagnie Marseillaise de Réparation (CMR), qui reprend une partie du personnel et du matériel. Moins de trois ans après, cette dernière dépose le bilan, en dépit de savoir-faire uniques, comme la « jumboïsation », c’est-à-dire le rajout de tronçons de coque à des navires pour accroître leurs capacités. La valse des repreneurs reprend, avec l’italo-suisse Marinvest, le britannique Cammel Laird, l’entrepreneur Claude Miguet et à partir de 2006 le groupe espagnol Boluda. Dernière entreprise de la réparation navale marseillaise, la CMR est renommée Union Naval Marseille (UNM) et ne compte alors plus que 130 salariés, auxquels s’ajoutent 400 salariés de la sous-traitance.
Le 10 mars 2009, l’UNM est liquidée. Boluda n’a pas accepté les actions menées par les salariés contre son recours outrancier à la sous-traitance et aux travailleurs détachés. La mort de la réparation navale à Marseille est annoncée, victime de repreneurs plus soucieux de percevoir des aides publiques que de véritables projets industriels. Mais c’était sans compter sur une centaine de salariés et leur syndicat CGT. Refusant la fatalité, ils engagent un bras de fer en occupant le chantier naval. 503 jours de luttes contraignent l’État à trouver un repreneur. Le chantier naval italien San Giorgio Del Porto (SGDP) est désigné et l’UNM renaît de ses cendres sous la désignation de Chantier Naval de Marseille (CNM). L’outil de travail a pu être sauvé, grâce à la solidarité venue de l’Union départementale, de l’Union locale du port et de ces salariés, de la SNCF, d’EDF-GDF, de Fralib, d’Arcélor, de Renault et Eurocopter, sans oublier la confédération et la FTM-CGT. Et c’est au milieu d’une haie d’honneur drapée de rouge que les salariés entrent le 13 juillet 2010 dans leur entreprise. Mais la lutte ne s’arrête pas là ! Consciente que l’avenir du site dépend de sa capacité à répondre aux besoins futurs du transport maritime mondial, la CGT poursuit le combat engagé depuis le début des années 2000 pour obtenir des investissements destinés à la « forme 10 », le plus important des dix bassins du port de Marseille qui permettent de mettre à sec les navires pour les réparer ou les transformer. Cette forme, la plus grande du pourtour méditerranéen, mesure 465 mètres de long sur 85 de large et peut accueillir les plus grands navires de croisière et de commerce. Inaugurée en 1975, elle a subit de plein fouet la crise pétrolière, avant d’être fermée en 2000. Face à un patronat et à des élus pressés de transformer le site en hôtel de luxe doté d’une marina pouvant accueillir de grands yachts, la CGT a défendu sa rénovation, en insistant sur l’importance de pouvoir accueillir, sur un même chantier, tous les navires, y compris les plus grands paquebots de croisière et porte-conteneurs. Cette persévérance finit là aussi par payer, les 35 millions d’euros pour la réhabilitation sont débloqués et le syndicat CGT peut inaugurer officiellement la « forme 10 » le 4 juin 2015, avant que le premier navire n’y entre en octobre 2017.
Soucieux du chômage endémique qui gangrène les quartiers nord de Marseille, le syndicat CGT développe son projet d’ouverture d’une école des métiers de la mer, notamment pour former les soudeurs, tourneurs, tuyauteurs ou fraiseurs qui manquent à la réparation navale. Ces formations ouvriraient de nouvelles perspectives à des territoires défigurés par cinquante années d’abandon industriel.