1988 | Aux chantiers navals de La Ciotat

Aujourd’hui encore, le port de la Ciotat est dominé par une immense structure : un portique, solidement planté sur le site industriel. Les anciens parlent de ce que l’on apercevait du haut de celui-ci il y a quelques décennies. Notre camarade Marc Bastide est l’un d’eux. Les chantiers, la navale et le conflit de la Ciotat ont marqué son parcours militant.

La survie en jeu

Il n’est pas aisé de prendre la mesure de ce passé industriel. Difficile d’imaginer au milieu des pointus amarrés à leur ponton, le lancement de bateaux qui glissaient sur leur rampe, traînant avec fracas les chaînes de freinage et soulevant un vague qui venait noyer le quai d’en face. Ici, depuis 1835, on construisait des navires, toujours plus grands, toujours plus modernes. Ici, des milliers d’ouvriers donnaient corps à ces grands voyageurs des mers. Ici, a vu le jour, dès la fin des années 70, une lutte qui dura des années. La survie des chantiers navals de la Ciotat était devenue un enjeu national dans une période de casse industrielle. Conflit emblématique, il ébranla notre fédération et influença toute la CGT.

De 1975 à 1998, on est passé de 40 000 salariés à moins de 7 000 dans la navale, tandis que la production européenne déclinait de 85 % quand celle de Corée du Sud progressait de 700 % et que le Japon produisait près de la moitié du tonnage mondial.

Pour la commission européenne la construction navale lourde était condamnée et la Méditerranée devait être réservée au tourisme. Avec le rapport Davignon de 1977, les aides publiques cessent et les capacités de production sont réduites. Les licenciements débutent dès 1978.

L’État a fait le choix de ne conserver qu’un seul chantier, celui de Saint-Nazaire, propriété d’Alsthom. En 1982, le gouvernement Mauroy créé la Normed, réunissant les chantiers de La Ciotat, de la Seyne et de Dunkerque déjà en faillite. Plombée dès le départ, elle est mise en liquidation en 1986.

Une bataille de dix années

Pour préserver 4 000 emplois, les ouvriers votent en 1988 l’occupation du site. Une bataille de plus de 10 ans s’engage.

En août 1989, la société américaine Lexmar présente un projet de construction de 35 pétroliers à double coque sans aides publiques et la création de 2 000 emplois. Pour le gouvernement Rocard c’est non. D’ailleurs, il a déjà confié l’avenir du chantier à son « expert » Bernard Tapie. Et pour rendre le projet impossible, il fait cadeau de l’outillage, dont le portique, à la banque Worms.

En 1978, Jacques Chérèque, secrétaire général de la Fédération CFDT de la métallurgie, avait jugé la bataille des salariés de la navale comme un enjeu majeur. Dix ans plus tard, devenu ministre, il déclare : « à La Ciotat, il n’y a plus de justification économique pour construire des bateaux… il ne faut pas combattre pour des outils obsolètes », tout comme il dira « il faut retirer les hauts fourneaux de la tête des sidérurgistes lorrains ».

Pourtant, en 1990, les armateurs français ont passé commande d’une trentaine de navires pour un montant de 5,5 milliards de francs aux chantiers d’Asie. L’Union européenne a menacé la France de sanctions si elle ne respectait pas les accords sur le gel définitif de l’activité navale.

105 lutteurs des chantiers multiplient les actions, les coups d’éclats, n’épargnant rien ni personne. Leur détermination est restée sans faille, la solidarité aussi.

En 1994, la Sedimep est créée par l’État et les acteurs locaux pour réindustrialiser le site. Seule la pression de la lutte permet que cela se concrétise au début des années 2000. Aujourd’hui, il existe plusieurs centaines d’emploi dans la maintenance de yachts de luxe. Ils sont le fruit de cette bataille acharnée. Voilà encore une belle page de notre histoire.

 

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