Électronique professionnelle, télécommunications, matériel médical, électroménager, fils et câbles, armements, composants électroniques, la liste des domaines dans lesquels le groupe Thomson-Brandt est présent au début des années 1970 est longue ! Tout comme la Compagnie générale d’électricité (CGE), il est représentatif de l’orientation prise par les grandes entreprises françaises durant cette période, privilégiant une large diversification et une internationalisation à marche forcée. Cette entreprise, qui emploie 126 000 salariés en 1979, compte parmi les membres de son conseil d’administration François Ceyrac, président du Conseil national du patronat français (CNPF, l’ancêtre du Medef), ainsi que Philippe Giscard-d’Estaing, cousin germain du président de la République alors en exercice.
Les 460 millions de francs de bénéfices nets réalisés en 1979 ne suffisant pas à rassasier les appétits actionnariaux, le groupe est engagé dans une stratégie de restructurations qui conduit à un plan de suppression de plusieurs milliers d’emplois, ainsi qu’à l’aggravation de l’intensité du travail, par le passage au travail en équipes en 2×8 ou 3×8 et la parcellisation accrue des tâches. L’heure est donc à la lutte, dans un contexte où les mécontentements s’expriment avec force dans la métallurgie, chez Alsthom Belfort, Mavilor L’Horme, Dassault, CIT-Alcatel Annecy, Manufrance Saint-Étienne ou dans la sidérurgie à Longwy et Denain.
Le 15 avril 1979, les syndicats CGT et CFDT déposent une plateforme revendicative commune, établie sur la base d’une enquête menée auprès des salariés dans tout le groupe. Elle comprend notamment la cinquième semaine de congés payés, le passage aux 35 heures sans pertes de salaires, l’augmentation des salaires, l’extension des droits et libertés. Des débrayages accompagnent ce dépôt, mais la direction générale refuse de répondre. La situation bascule en septembre, lorsque la CGT publie le bilan social communiqué au comité central d’entreprise et ses comparaisons par usine, par catégories, âge et sexe. Alors, « il a fallu trouver les formes les plus efficaces et les moins coûteuses pour nous », dixit Jean-Pierre Perot, le secrétaire du syndicat CGT de Malakoff. Le 26 septembre, les débrayages reprennent.
La tactique retenue est simple. Pour limiter les pertes de salaires, on privilégie la grève tournante par ateliers, l’occupation par roulement tous les quarts d’heure du bureau du chef du personnel. Dans les usines Thomson de Lannion et Dinard, les ouvrières s’allongent dans les locaux et les couloirs, tandis qu’à Mayenne, des débrayages inopinés, dans le style « kermesse », s’accompagnent de défilés, de chahuts, de mélange des pièces, de destruction des bons de travaux. Pour nourrir la solidarité entre les usines, des journées d’action sont organisées, comme celle du 30 octobre 1979. Ce jour-là, deux rassemblements, à Malakoff et à Levallois-Perret, réunissent 5 000 personnes. Le 22 novembre, 6 000 salariés, dont d’importantes délégations de Brest et Laval, se retrouvent devant le siège du groupe, boulevard Haussmann à Paris. Le ton monte progressivement. Le 13 décembre, une centaine de grévistes bloque François Ceyrac à la sortie du conseil d’administration, alors que 120 000 tracts sont distribués dans les gares parisiennes.
Le 7 mars 1980, au lendemain d’une action coup de poing durant le prologue de la course cycliste Paris-Nice, des négociations s’ouvrent finalement. La répression n’est pas venue à bout de la détermination des grévistes, malgré les centaines de journées de mises à pied et plus de 300 000 francs de retenues sur salaires. La direction cède pour l’ensemble des salariés quatre jours de congés supplémentaires, une prime de 400 francs, ainsi qu’une augmentation des salaires de 5,4 %, en plus des revendications obtenues au sein de certaines usines. Si la victoire n’est pas totale, cet exemple illustre cependant la capacité d’adaptation des formes de la lutte à un contexte économique désormais défavorable.