Le 2 février 1972, la commission exécutive confédérale de la CGT appelle « à la mobilisation de toutes [les] forces pour développer un vaste mouvement de soutien aux peuples d’Indochine, matériel et politique. » Le 38e congrès confédéral, en avril 1972, ratifie l’appel et s’engage à réunir 200 millions d’anciens francs – soit deux millions de nouveaux francs, objectif confirmé par le Bureau confédéral du 22 juin.
Sans attendre, le bureau de la Fédération des travailleurs de la métallurgie du 25 avril 1972 avait décidé la prise en charge, avec le concours de syndicats, de la formation professionnelle en France de militants vietnamiens. Suite à l’intervention d’Alphonse Véronèse, le comité exécutif fédéral du 29 mai 1972 décide d’engager la fédération dans une campagne destinée à équiper en machines-outils un centre de formation professionnelle. Ce choix découle des besoins exprimés par le peuple vietnamien, mais aussi de l’expérience accumulée depuis 1937 par la Fédération et l’Union des syndicats des travailleurs de la région parisienne au travers de l’école de formation professionnelle pour les privés d’emplois de l’impasse de la Baleine dans le onzième arrondissement à Paris, devenue le centre Bernard-Jugault entre 1945 et 1951, puis le centre de rééducation professionnelle pour travailleurs handicapés Suzanne-Masson à partir de 1951.
Un tel objectif nécessite de collecter plusieurs dizaines de millions d’anciens francs. La campagne est officiellement lancée dans Le Guide du Métallurgiste de juin 1972. L’idée est que chaque USTM, chaque syndicat se fixe des objectifs, selon le slogan « à chaque département… sa machine-outil. Soyons tous solidaires du Vietnam ». Aussi, il est proposé que les départements de plus de 100 000 salariés de la métallurgie s’engagent dans le financement d’un tour à métaux, ce qui représente 40 centimes par travailleur. Pour les départements de plus de 50 000 salariés, il est proposé de parrainer une fraiseuse, soit 70 centimes par travailleur.
Cette campagne est relayée par le bureau de l’Union internationale des syndicats des travailleurs de la métallurgie (UIS Métaux), émanation professionnelle de la Fédération Syndicale Mondiale (FSM), dans un appel élaboré à Paris le 19 mai 1972. Il « appelle tous les syndicats des travailleurs de la Métallurgie de tous les pays à prendre partout des initiatives concrètes » et « en vue de faciliter l’engagement des organisations ne pouvant pas le faire directement, le bureau les invite à effectuer des collectes de fonds pour contribuer à la construction et à l’équipement d’un centre de formation professionnelle de la métallurgie et de la mécanique en République démocratique du Vietnam. »
La Vie ouvrière, édition métaux, reproduit dans son édition du 20 septembre 1972 la lettre de remerciements envoyée le 3 juillet par le syndicat national des travailleurs des constructions mécaniques et de la métallurgie du Vietnam à la Fédération de la métallurgie, dans laquelle il lui fait part qu’il est en train « d’élaborer un projet pour la construction de l’école précitée. »
Gagner la solidarité
Le 24 juillet 1972, le secrétariat fédéral examine un premier bilan de la campagne dressé par Alphonse Véronèse. Au total, un peu plus de 14 000 nouveaux francs ont été récoltés et transmis à la Fédération, dont plus de 10 000 dès le mois de juin parmi les enseignants et élèves du centre Suzanne-Masson. Seuls quelques syndicats, comme les métaux de Montbard, Berthiez à Givors, la Société de constructions aéronavales (SCAN) à La Rochelle ou encore les métaux de La Courneuve ont pris en compte la campagne. Parmi les explications avancées à ce résultat insatisfaisant, il est rappelé que la décision a été prise fin mai, que le matériel d’explication et de propagande n’est parvenu dans les syndicats qu’après le 15 juin, ce mois étant marqué par deux journées nationales de mobilisation, la proximité des congés payés et la fermeture de nombreuses entreprises.
Durant l’été, plusieurs syndicats organisent des collectes, comme en témoigne La Vie ouvrière dans son édition métaux du 30 août. On y apprend que des collectes ont eu lieu à « La Courneuve, Montreuil, Blanc-Mesnil, Valenciennes, Montbard et La Palisse, La Rochelle et Cholet », une mention spéciale étant attribuée à « ceux de l’Alsthom Saint-Ouen qui ont recueilli 1 050 nouveaux francs en une seule soirée et à ceux de la CFEM de Rouen qui ont, à la mi-août, organisé prises de parole et collectes pour le Vietnam. » À la mi-août 1972, la Fédération a effectué un premier transfert de 20 000 nouveaux francs. Mais le résultat reste modeste, puisque le premier Courrier fédéral du mois de septembre mentionne que seuls 25 000 francs sont parvenus à la Fédération, fruit du versement d’une trentaine de syndicats et d’USTM.
La campagne ne débute véritablement qu’en septembre. Des objectifs chiffrés sont définis. Ainsi l’USTM des Yvelines se fixe l’objectif de collecter 25 000 nouveaux francs, l’USTM des Hauts-de-Seine 45 000, l’USTM de Seine-Maritime 35 000, le syndicat Alsthom Gennevilliers 4 000. Il apparaît que tous les fonds collectés n’ont pas encore été centralisés à la Fédération, à l’image de Matra à Vélizy où le syndicat a organisé une exposition-vente d’objets vietnamiens qui a rapporté 3 000 francs ou du syndicat de l’AOIP à Paris qui a récupéré 1 300 francs en une matinée.
Fin septembre, le cap des 30 000 francs est franchi, grâce notamment aux 9 000 francs collectés depuis le mois de juin dans trente-cinq usines de la métallurgie de Seine-Saint-Denis et aux 4 500 francs recueillis à Creusot-Loire Ondaine, une entreprise de 5 000 salariés. Cette campagne se traduit par de nombreuses initiatives, tant au niveau du pays avec l’organisation d’une journée nationale de solidarité par la Fédération de la métallurgie le 10 novembre 1972 qu’au plan local, avec par exemple l’initiative relatée dans La Vie ouvrière, édition métaux du 18 octobre 1972 de la commission des jeunes de la SNIAS Saint-Nazaire qui ont fait un important travail d’information, via une exposition sur les crimes commis au Vietnam, des prises de parole à l’embauche, ce qui a permis de récolter 570 francs. Le centre de rééducation professionnelle Suzanne-Masson ne s’arrête pas à son premier versement. Ainsi, La Vie ouvrière, édition métaux du 22 novembre 1972, nous apprend qu’un nouvel objectif de 10 000 francs a été fixé, et presque atteint. Les personnels ont versé une journée de salaires, les stagiaires ont participé à une liste de souscription, des tracts ont été éditées, une exposition de quinze panneaux présentée, un débat organisé en présence de la résistante et journaliste Madeleine Riffaud, la projection de film, la vente de livres et de disques.
Le comité administratif de l’UIS Métaux, tenu à Karlovy Vary en Tchécoslovaquie du 14 au 16 novembre 1972, examine le développement de la campagne de solidarité des métallurgistes. Il renouvelle l’appel du bureau de mai 1972 de « poursuivre la collecte des moyens nécessaires à l’acquisition de l’équipement et à la construction du centre de formation professionnelle des sidérurgistes et mécaniciens et de l’hôpital pour le traitement des maladies professionnelles des métallurgistes. »
La campagne s’accélère, puisqu’à la fin du mois de janvier 1973, il est annoncé que 85 000 nouveaux francs ont été recueillis. Les 100 000 francs sont atteints en mars, et sont remis par une délégation de la CGT invitée au troisième congrès des syndicats vietnamiens à Hanoï.
Défendre la paix, sans relâche
L’année 1973 s’ouvre avec la signature, à Paris, d’accords de paix dont l’une des conséquences est l’évacuation par les États-Unis de ses soldats. Ces événements rendent la campagne de solidarité plus que jamais indispensable, puisqu’il s’agit désormais de reconstruire un pays ravagé par près de trente années de guerre quasi-ininterrompues. Si les sommes recueillies par les métallurgistes n’ont finalement pas été affectée à la construction et à l’équipement d’une école de formation professionnelle, elles ont permis de financer de nombreuses machines-outils qui furent installées en fonction des besoins.
Cette campagne illustre l’engagement tenace de la CGT en faveur de la paix et de la solidarité internationale. Pour le Vietnam, comme pour l’Espagne républicaine, l’Algérie ou plus tard le Chili, les organisations de la CGT se sont largement mobilisées et ont fait de la lutte pour la paix un axe central de leur activité revendicative. Aujourd’hui encore, la paix est un combat et il faut, de ce point de vue, ne rien lâcher. En informant largement dans les entreprises, en soutenant l’action d’organisations comme L’Avenir social ou Le Mouvement de la Paix, en s’engageant dans la mise en œuvre d’actions concrètes, nous apportons un réconfort moral et matériel aux populations victimes, mais nous enrichissons également le notre activité d’une dimension internationale qui ne peut que nous renforcer !