Inscrite dans la dynamique initiée par les grèves d’août 1953 dans la Fonction publique, 1955 est une année fertile en luttes. L’été est particulièrement agité dans la construction navale de Loire-Atlantique qui emploie alors 10 000 ouvriers à Saint-Nazaire et 7 000 à Nantes, et plus largement dans les établissements de la Société nationale des constructions aéronautiques du Sud-Ouest (SNCASO), les fonderies et la grosse mécanique, comme chez Brissonneau et Lotz, Batignolles-Châtillon ou Brandt.
Les conditions de travail et les salaires, sont au cœur des revendications, dans un contexte de restructurations, les chantiers de Penhoët et de la Loire fusionnant pour devenir les Chantiers de l’Atlantique. Depuis de nombreuses années, les cadences ne cessent d’augmenter, tandis que l’inflation grignote les salaires et que l’écart se creuse avec les salaires parisiens.
L’offensive est déclenchée en février à Saint-Nazaire par des grèves surprises des soudeurs des chantiers navals, qui refusent l’instauration du chronométrage des tâches. Le 7 avril, les ouvriers de la SNCASO à Bouguenais, Saint-Nazaire et Rochefort observent une journée de grève pour obtenir la fin du recours systématique aux heures supplémentaires et l’alignement des salaires sur ceux en vigueur à Courbevoie. Dans les semaines qui suivent, la grève s’étend dans les chantiers de Saint-Nazaire et le mécontentement grandit face à une direction dédaignant les revendications et mobilisant la sous-traitance pour neutraliser les grèves.
Le 21 juin, le débrayage est total et s’étend aux entreprises de la métallurgie nazairienne. Le lendemain, l’occupation des chantiers par les forces de l’ordre attise la colère et de violents affrontements se soldent par des dizaines de blessés. Une première reprise intervient le 23 juin, mais les promesses patronales sont insuffisantes. Rendez-vous est donc pris à la réouverture de l’entreprise après les congés annuels. Le 1er août, les provocations patronales déclenchent de nouveaux heurts avec les forces de l’ordre et Paul Bacon, ministre du Travail, nomme un médiateur. Un accord est finalement trouvé le 16 août, les salaires sont augmentés de 22 %, la reprise du travail est effective le lendemain.
Le même jour, 17 août, à Nantes, plusieurs centaines d’ouvriers en grève occupent le siège patronal, excédés par des négociations salariales qui s’éternisent. Une nouvelle fois, le patronat impose le lendemain la fermeture et l’occupation policière des lieux de travail. De rudes échauffourées éclatent et se poursuivent le 19 août. Ce jour-là, les blessés sont nombreux et un jeune ouvrier, Jean Rigollet, perd la vie. Les négociations reprennent avant d’être interrompues par un nouveau lock-out patronal de trois semaines. L’épreuve de force se prolonge, soutenue par une importante solidarité financière et l’organisation de trois grandes manifestations à Nantes les 12, 19 et 29 septembre. Le 4 octobre, la reprise est votée à une courte majorité. Si la revendication des « 40 francs de plus par heure » n’a pas été intégralement obtenue, les gains sont appréciables : congés d’ancienneté, retraite complémentaire, fonds social pour les chômeurs, compléments de salaires en cas de maladie ou d’accident, ainsi qu’une prime exceptionnelle.
L’extraordinaire combativité des métallurgistes de Loire-Atlantique au cours de ces huit mois ont donné à ces luttes une dimension nationale. Elle a joué un rôle indéniable dans l’obtention de certaines revendications, la troisième semaine de congés payés et les conventions collectives territoriales dans la métallurgie par exemple. Mais, elle a surtout inspiré les grandes mobilisations Ces luttes présentent aussi des spécificités que les mobilisations ultérieures répétèrent, avec l’existence d’un front syndical unitaire et l’adoption de formes de luttes spécifiques, comme les débrayages surprises et les grèves tournantes.