1944 | L’usine Ford de Poissy

En 1938, Ford France entame l’édification d’une importante usine à Poissy (Yvelines), afin d’y grouper ses activités et produire jusqu’à 150 véhicules par jour. Le déclenchement de la guerre aurait pu être désastreux, mais la « drôle de guerre » permit au contraire à Ford France de bénéficier de lucratives commandes de moteurs d’avions et de camions par l’État. La défaite française, en juin 1940, l’encourage à chercher l’appui du régime nazi, en s’appuyant sur Ford-Werke, la filiale allemande de Ford. Dès juillet, la production assure dix à douze camions par jour. En 1941, l’usine de Poissy, achevée, livre à l’Allemagne 4 000 camions, 4 100 moteurs de camions et autant d’essieux arrière. Cette année-là, les bénéfices nets atteignent 22 millions de francs, contre 5 millions en 1940.

En mars et avril 1942, la Royal Air Force bombarde les usines françaises contribuant à l’effort de guerre nazi. L’usine de Poissy est frappée à trois reprises, 20 % des machines sont détruites, les bâtiments sont durement endommagés. Avec le soutien financier des autorités allemande et vichyssoise, la production redémarre tant bien que mal. Le tournant de la guerre en 1943 incite Ford France à modérer son zèle, en arguant des pénuries entravant la production. L’opportunisme guide ce revirement, et non la volonté d’entraver la machine de guerre nazie. Près de 7 500 moteurs sortent encore des chaînes entre l’été 1943 et mars 1944.

Certains salariés dans l’usine étaient bien déterminés à résister. Un comité populaire est signalé en 1941. Son journal ronéotypé, Le Trait d’Union, revendique des hausses de salaire, des délégués à la sécurité et vilipende une direction qui partage son temps « entre le marché noir, les courbettes devant les occupants et une haine sadique vis-à-vis de son personnel. » La répression ne tarde pas à frapper. Albert Porcheron, Marcel Laffite et Jean Fumoleau sont arrêtés à l’été 1941, interné jusqu’en décembre 1942 pour le premier, déportés respectivement aux camps de Sachsenhausen et de Ravensbrück pour les deux autres, avant d’être libérés en mai 1945. Un second coup de filet décapite l’organisation clandestine en juillet 1942, avec l’interpellation de deux responsables : Jean Guilmain et Étienne Champion. Le premier est déporté au camp de Buchenwald, puis de Bergen-Belsen, d’où il est libéré en mai 1945, tandis que le second est fusillé le 19 septembre 1942 au stand de tir du ministère de l’Air, à Paris (15e arr.).

La libération de Poissy s’achève le 29 août, après six jours de violents combats contre l’armée allemande et la mort de six résistants. L’usine est placée au service des forces alliées et Maurice Dollfus, son directeur, est arrêté pour faits de collaboration, avant d’être finalement relâché. En décembre 1944, après quinze jours de travail obstiné et une matinée bénévole, le premier camion achevé est offert à la division « Ile-de-France » des Forces françaises de l’intérieur (FFI). Exemple concret de la « bataille pour la production » engagée par la CGT, ce camion exprime la solidarité liant les salariés restés à l’usine et la centaine partis combattre pour libérer le territoire. Le comité d’entreprise, dirigé par une majorité CGT, s’engage pour assurer la production, en dénichant les machines-outils manquantes, en récupérant des quotas supplémentaires d’acier et en intervenant auprès des sous-traitants pour augmenter les cadences.

Avec la guerre froide, les antagonismes resurgissent, comme l’illustre la nomination en 1949 de François Lehideux, ex-secrétaire d’État à la Production industrielle du régime de Vichy, à la direction de l’usine. En juillet 1954, Ford cède son usine à Simca qui évince en quelques années la CGT, grâce à un syndicat « indépendant » aux méthodes musclées, qui quadrille les ateliers et à la haute main sur le comité d’entreprise et ses avantages sociaux.

Aller au contenu principal