Le 2 mars, une assemblée générale, réunie rue des Fossés-Saint-Pierre au Mans, adopte par 230 voix sur les 360 ouvriers que compte l’usine les revendications suivantes : « augmentation générale et proportionnelle du salaire, avec pour base, l’application du tarif minimum […], suppression du travail du dimanche […], allocation journalière de deux litres de lait […], installation d’un grillage autour des moulins servant au rodage des moteurs, et de toutes les machines-outils à engrenages pour les protéger contre un abord dangereux, isolement du compteur à gaz, adoption d’un mode de débrayage partiel à chaque courroie de transmission avec adjonction d’une sonnerie automatique d’alarme, réorganisation de la pharmacie […], balayage quotidien de l’atelier […], nettoyage journalier des cabinets d’aisance et leur agrandissement par l’achèvement rapide de ceux en construction, reconnaissance pour le syndicat au droit d’embauchage de ses adhérents. ». Informé le lendemain par une délégation d’ouvriers, Léon Bollée, prétextant la réflexion, demande un délai de quarante-huit heures qu’il utilise pour lock-outer les ouvriers, c’est-à-dire fermer l’usine et licencier les grévistes. Sa réponse est nette : toute augmentation de salaires est impossible, il n’y a pas de travail insalubre ou pénible dans son usine et il s’étonne « de voir se produire des critiques relativement à l’hygiène de [ses] ateliers qui ont été spécialement construits à grands frais en vue de donner aux ouvriers le maximum d’air, de lumière et le bien-être général. » Le bras de fer débute.
Le 5 mars, au matin, 200 ouvriers se regroupent devant l’entrée de l’usine aux cris de « Non, non, non, nous ne voulons pas reprendre le travail », avant de se rendre, en chantant L’Internationale, à la Bourse du Travail. La première semaine, les journées sont rythmées par les rassemblements devant l’usine, les manifestations en ville, les assemblées générales et la distribution de la solidarité versée par les ouvriers des autres usines du Mans. Des augmentations de salaires sont accordées dans les usines Carel et Fouché, Leveau et Chappée pour éviter une extension de la mobilisation ouvrière. La lutte donne déjà ses premiers fruits.
La grève se déroule dans le calme. Pour preuve, le 12 mars, Léon Bollée quitte son usine à pied, seul, pour rentrer chez lui et traverse, sans incidents, un groupe d’une quarantaine de grévistes. Ce même jour, l’usine a rouvert ses portes à la petite centaine de non-grévistes qui reprennent le travail. Le lendemain, deux cents grévistes environ se groupent aux abords de l’usine pour attendre les non-grévistes, ainsi que plusieurs milliers de curieux. La tension est montée d’un cran et la sortie est houleuse, alors que la pénombre commence à tomber. Les forces de l’ordre présentes, non seulement « protègent » l’usine, mais accompagnent également les non-grévistes à leur domicile, ce qui est perçu comme une provocation. Des jets de pierres sont signalés, des vitres brisées et des agents de police blessés. La soirée s’achève malgré tout dans le calme.
Le lendemain, le comité de grève condamne les violences, tandis que le commissaire de police réclame l’interdiction des rassemblements sur la voie publique et l’intervention de l’armée. Celle-ci est déployée dès le lendemain, tandis que la presse s’en donne à cœur joie. Le Nouvelliste de la Sarthe évoque « une foule de ces individus à physionomie louche, que l’on retrouve dans toutes les échauffourées, et qui sont dans leur rôle en s’opposant à la liberté du travail », tandis que son confrère La République de la Sarthe et de l’Ouest relève que « quelques personnes, notamment des femmes, ont été bousculées et renversées. Comme leur place n’était nullement obligatoire parmi les manifestants, elles auraient mauvaise grâce à se plaindre d’avoir été piétinées. »
La grève reflue. Le 18 mars, décision est prise de ne pas manifester et de permettre à ceux pouvant s’embaucher dans une autre entreprise de le faire. Le 27 mars, le travail reprend, tandis qu’une cinquantaine d’ouvriers quittent Le Mans pour espérer retrouver un emploi.