Les nationalisations

L’accaparement, par une minorité, des moyens de production et d’échange est l’un des fondements du capitalisme. Le salariat, qui n’a que sa force de travail à vendre, est subordonné aux possédants et doit leur abandonner une partie du fruit de son travail, la plus-value. Il n’est donc pas étonnant que le mouvement syndical se soit interrogé sur la manière de contourner sinon renverser cette situation. Parmi les solutions avancées, il y a l’association ou la coopérative ouvrière de production. On peut citer en exemple l’Association des ouvriers en instruments de précision (AOIP), fondée en mars 1896 par 64 ouvriers et qui fut, à son apogée, la plus grande coopérative d’Europe occidentale avec 4 500 salariés. On peut aussi mentionner la Coopérative ouvrière de TSF durant l’entre-deux-guerres ou encore la reprise sous forme coopérative de Manufrance à Saint-Étienne entre 1980 et 1985.

La revendication de nationalisations prend corps aux lendemains de la Première Guerre mondiale au sein de la CGT. Celles-ci visent les monopoles de fait, comme les chemins de fer, les mines ou les banques. Après rachat des entreprises aux actionnaires, celles-ci seraient gérées, de manière autonome, par un conseil d’administration tripartite associant les représentants des salariés, des usagers et de la collectivité. Cette perspective se double, à partir des années trente, d’une réflexion sur la planification de l’économie. Les premières nationalisations, décidées après les grèves de mai-juin 1936, ne correspondent guère aux aspirations de la CGT. Par exemple, celles visant les industries aéronautiques restent partielles et ménagent les intérêts privés. Malgré tout, les nationalisations, initialement rejetées par une fraction du mouvement syndical qui y voyait un détour dans la route menant à la révolution, sont désormais intégrées au programme revendicatif de la CGT.

Le Programme du Conseil National de la Résistance, adopté en mars 1944, prévoit « le retour à la nation des grands moyens de production ». L’engouement populaire et le discrédit de la droite confortent sa mise en œuvre rapide. Les espoirs sont immenses et la CGT, forte de cinq millions d’adhérents, pèse de tout son poids. Les premières mesures concernent les charbonnages et Renault, suivies par Gnome-et-Rhône (future SNECMA) et les transports aériens, et enfin les banques de dépôt, l’électricité, les assurances. Le bilan est cependant inégal. La CGT n’a pu obtenir la nationalisation des banques d’affaires, de la sidérurgie, de la chimie et des transports routiers. La participation du syndicalisme à la gestion des entreprises reste symbolique, sauf pour les activités sociales et culturelles. Enfin, les personnels sont soumis à des régimes très divers : droit privé, fonction publique ou statuts particuliers.

La revendication réapparaît au début des années soixante, par exemple pour Bull, avant de rebondir en juin 1972 avec le Programme commun de la gauche qui prévoit « le transfert à la collectivité des moyens de production les plus importants », ainsi que « la participation des travailleurs et de leurs organisations à la direction et à la gestion. » La victoire de la gauche permet la nationalisation en décembre 1981 de neuf groupes industriels, dont Thomson-Brandt, la Compagnie Générale d’Électricité (CGE), Usinor, Sacilor, Pechiney-Ugine-Kuhlmann. Mais l’espoir vire au désenchantement. Les nationalisations ne furent pas mises au service du progrès social, de la satisfaction des besoins et d’une plus grande démocratie sur les lieux de travail. En cinq ans, les milliards injectés ont financé la destruction de plus de 100 000 emplois, les méthodes patronales de gestion ont été conservées, tandis que les administrateurs salariés, élus à partir de juin 1984, n’ont pu exercer pleinement leur mandat.

Le retour de la droite au gouvernement en 1986 donne le signal des premières privatisations et de la lente liquidation du secteur public nationalisé, qui se trouve réduit aujourd’hui à quelques participations d’État. Preuve que seul le rapport de forces construit par les salariés au travers de leurs organisations peut entamer la loi du profit.

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