Depuis la fin du XVIIIe siècle, l’emprise grandissante du mode de production capitaliste a bouleversé les structures sociales, en imposant peu à peu le salariat comme la catégorie dominante du monde du travail. Ce rapport de production suppose deux classes aux intérêts antagonistes, la bourgeoisie qui possède les moyens de production et les salariés qui doivent vendre leur force de travail. Le salaire est donc au cœur du conflit opposant le patronat aux salariés. D’où naît la plus-value, si ce n’est du fait que la rémunération d’une heure de travail est inférieure à la valeur qu’elle permet de produire ?
En plus des luttes pour arracher des augmentations de salaires, les salariés ont œuvré à conquérir des garanties collectives pour limiter l’arbitraire patronal. L’une d’elles est la classification, c’est-à-dire la répartition systématique et hiérarchisée des travailleurs ayant des caractères communs dans des catégories pour lesquelles un salaire minimum est fixé. Dans la métallurgie, les classifications ont été révisées à quatre reprises, chaque fois après d’importantes mobilisations. La première grille de classification, incluse dans l’accord national sur la journée de huit heures de 1919, tombe en désuétude sitôt le rapport de force retombé en faveur du patronat. Elle n’est réactualisée qu’avec les conventions collectives négociées durant les grèves de mai-juin 1936. Après la Seconde Guerre mondiale, les salaires sont fixés par arrêtés des ministres du Travail, Alexandre Parodi puis Ambroise Croizat. Ces textes définissent une hiérarchie salariale fondée sur le métier et le niveau d’apprentissage, avec, pour chaque échelon, une fourchette dans laquelle doit s’inscrire le salaire moyen. Le premier arrêté, le 11 avril 1945, vise la métallurgie.
La FTM-CGT propose une grille unique de classifications, de l’ouvrier à l’ingénieur, intégrée à une convention collective nationale de la métallurgie. Les grèves de mai-juin 1968 contraignent le patronat de la métallurgie à négocier. L’accord signé en juillet 1975 rompt avec les « listes de métiers » des grilles précédentes et institue la technique des « critères classant », après évaluation des postes par le patronat. En dépit de la reconnaissance des qualifications (les diplômes), la FTM-CGT refuse de signer l’accord, notamment en raison de l’exclusion des ingénieurs et cadres, de la non-reconnaissance des agents de maîtrise et de l’absence de déroulement automatique de carrière. Les luttes postérieures permirent d’imposer des références pour les minima, la création de nouveaux coefficients pour les techniciens ou la reconnaissance de nouveaux diplômes.
L’inflation – la hausse des prix – grignote inexorablement le pouvoir d’achat des salaires. C’est pourquoi la CGT a revendiqué de bonne heure une échelle mobile des salaires, c’est-à-dire la revalorisation automatique en fonction de l’inflation, et n’a pas hésité à publier son propre indice des prix entre 1972 et 1998. La création d’un salaire minimum interprofessionnel en 1950, tout comme l’insertion de clauses d’échelle mobile dans certains accords collectifs après 1968, répondent à cette préoccupation.
D’autres garanties collectives ont enfin consolidé le salariat. La création de la sécurité sociale par les ordonnances de 1945 a permis aux salariés d’être couverts pour quatre risques sociaux (maladie, vieillesse, famille, accidents du travail et maladies professionnelles). À ceux-là ont été ajoutés le chômage (1958) et les retraites complémentaires (1947 et 1961). Ce salaire différé, socialisé dans une logique redistributive et solidaire entre les générations, entre les biens-portants et les malades, entre les plus riches et les plus modestes, entre salariés et privés d’emploi représente aujourd’hui près d’un quart du salaire. Mais depuis le début des années 1980, la « rigueur » salariale et les exonérations massives de cotisations ont conduit à un transfert de plus de 1 500 milliards d’euros des salaires vers les profits. Preuve que la bataille pour les salaires reste plus que jamais d’actualité.